Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Physical Address
304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124
Le visage de Simon Fieschi est celui d’un éternel jeune homme. Son innocence saute aux yeux, sa solitude aussi. Il est mort à 40 ans, mais a toujours eu cet air d’enfant. Je lui disais souvent qu’il ressemblait à saint François d’Assise, ça le faisait rire ; il avait cette aura pensive des tourmentés, ce quelque chose d’étrangement absent qui attire la grâce. Et lorsqu’il se mettait à parler, la douceur de son intelligence et son ironie ravageuse vous foudroyaient.
Qui, aujourd’hui, pense encore à voix haute ? Qui se donne la peine de choisir amoureusement ses mots avant de les prononcer ? Quelques poètes, quelques philosophes ; et lui qui – à sa manière lunaire – était les deux. Il avait survécu à l’attentat du 7 janvier 2015 contre Charlie Hebdo. Webmaster du journal, il occupait un bureau à l’entrée des locaux et avait reçu la première balle tirée par Chérif Kouachi. Cette balle, il en avait méticuleusement raconté les impacts dans son corps et les conséquences dans sa vie. Coma d’une semaine, neuf mois d’hospitalisation, puis plusieurs années d’hôpital de jour et de rééducation.
Je le cite : « Côtes brisées, omoplates explosées, tétraplégie, paralysie complète. » On lui annonce qu’il ne pourra plus jamais remarcher, et voici qu’un jour de septembre 2020, au début du procès des attentats de janvier 2015, au tribunal de la porte de Clichy, il s’avance jusqu’à la barre pour témoigner.
Je vois encore sa silhouette frêle et claudicante traverser la salle en direction de la cour ; il est appuyé sur une béquille comme un jeune prince le serait sur sa canne, et l’on frissonne d’émotion lorsque, face à la cour, il refuse la chaise qu’on lui tend : Simon Fieschi veut témoigner debout. Il accroche sa béquille à la barre, et magnifiquement droit, les mains jointes, se met à parler : « Je suis venu avec l’intention de témoigner de ce que font les armes de guerre. » S’il a fait l’effort d’extirper son corps d’une paralysie qui l’embaumait, c’est avant tout pour être aux côtés de ses amis et « raconter ce que fait une balle de kalachnikov dans un corps ».
A la barre, ce jour-là, il réfute avec une dignité farouche le mot « victime », et lui préfère celui de « survivant ». Son corps est une preuve vivante de l’infamie islamiste, le témoignage incarné de cette abjection qui aura consisté, sous le prétexte fallacieux de « venger le Prophète », d’assassiner des innocents sans défense qui n’auront fait qu’écrire et dessiner.
Il vous reste 66.35% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.